Publié le 11 juillet 2018 à 23h24 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
C’est un petit livre revigorant que l’on range dans sa poche en se disant précisément que l’on va s’installer tranquillement en terrasse pour tourner les pages en prenant le temps de vivre…
La forme convient bien au sujet car il est question de partir à la recherche d’un esprit français qui se montre souvent réticent à entrer dans les boîtes un peu blessantes que sont les mots. Et quoi de plus français qu’un café ? Ce lieu où s’échangent tous les avis et où se rencontrent les personnages les plus différents. L’ouvrage s’avère généreux et ne verse pas dans un passéisme ignare : il développe plutôt une nostalgie fondatrice, une volonté de parcourir encore les sentiers de l’Histoire en considérant du passé les ombres et lumières, sans sombrer dans le procès permanent qui fait une bonne part de l’identité de l’époque.
L’auteur écrit comme un hexagonal : la désinvolture se mêle à l’esprit critique authentique et au goût de la chose littéraire… On confond trop aujourd’hui la passion de la déploration et la juste considération des choses. Jean-Marie Montali veut simplement nous ramener à quelques clefs de notre identité (qui n’est pas un mot obscène lorsqu’on lui donne la dynamique nécessaire). En particulier celle-ci : «Être Français, c’est être capable de dire non à l’inacceptable». Celui qui atteint vraiment le cœur de nos valeurs, bien sûr, pas ce que le petit univers parisianiste estampille comme tel en semaine 23 de l’année 2018 pour affirmer le contraire au cours de la 26e…
Ce que veut nous dire finalement Petit-Marc, le patron du bistrot, réside dans une affirmation d’une grande générosité : la France a bien des familles spirituelles et c’est heureux. Ce qui importe vraiment réside dans les fins honorées par chacune d’elles. L’inhumanité ne doit jamais être au bout de la construction intellectuelle et philosophique…
A l’évidence, la configuration technologique de ce siècle ne nous aide guère à déployer bienveillance et lucidité. L’ambiance de tribunal de l’Inquisition qui règne dans notre Occident grégarisé aplatit toutes les nuances. On ne peut mieux dire que Beaucheron : «La férocité des masses virtuelles ou réelles […], ça fait rarement une bonne justice. Les foules, même quand elles sont faites de milliers de têtes intelligentes et raisonnables, sont vite aveugles et sourdes, prêtes à toutes les colères, à tous les excès, à toutes les cruautés : l’irritation des masses se noie dans l’injustice, la bêtise et la méchanceté. Dans le sang.»
L’auteur insiste encore sur un point capital, lié au précédent : la nécessité de se tenir. «L’incontinence sentimentale» fait des ravages. Certaines choses méritent d’être exprimées en privé et non répandues sans repos dans l’espace public et médiatique. La transparence pleurnichante détruit un pilier essentiel de la démocratie libérale : le royaume de la vie privée et de la «décence commune» chère à Orwell. «Facebook a même réinventé le Mur des Lamentations pour qu’on puisse pleurer peinard la mort du chat d’un inconnu à l’autre bout du monde» ! Cette dynamique funeste excite les voyeurs et multiplie les exhibitionnistes. Seule gagne au bout du compte la société du spectacle qui détruit notre intelligence et notre sensibilité.
Au Café de France est un appel à avoir des convictions sans avoir d’œillères idéologiques, à voir le mal là où il se trouve et non là où on le fabrique artificiellement pour nous le montrer ensuite du doigt. C’est une exhortation à continuer de considérer l’Histoire en cavalier de l’incertitude et non en sujet intoxiqué des modes du moment. Un hommage à la dissidence discrète…
Eric Delbecque est le chef du pôle intelligence économique de l’IFET auteur du: Bluff sécuritaire Éditions du Cerf |