Publié le 25 février 2017 à 20h35 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h53
Une insigne part des Français cherchent aujourd’hui à donner naissance à un conservatisme intelligent, c’est-à-dire non réactionnaire (acceptant l’héritage de 1789) et capable de dialoguer avec d’autres traditions de la pensée politique. C’est dans ce courant que s’inscrit le dernier livre du journaliste du Figaro Guillaume Perrault, intitulé «Conservateurs, soyez fiers !» (Plon).
L’auteur s’est donné pour but de coloriser le conservatisme, de démontrer que voir celui-ci en noir et blanc n’a pas de sens. Par conséquent, il revisite notre Histoire depuis 1789 pour mettre fin au traitement caricatural infligé aux conservateurs, et pour souligner également les différentes nuances du conservatisme.
Il rappelle à juste titre que ce dernier ne se confond pas avec le règne de l’injustice et de l’oppression. Ce qui permet notamment de préciser que des individus classés dans le courant conservateur (Henri Frenay, Honoré d’Estienne d’Orves, Leclerc, etc.) furent au nombre des premiers résistants à la barbarie nazie. A contrario, Marcel Déat ou Jacques Doriot (d’abord figures du socialisme et du communisme hexagonaux) s’imposèrent durant l’Occupation dans les rangs des partisans de la collaboration. Quant au régime de Vichy, il alla puiser ses troupes à droite comme à gauche, même si l’on ne peut nier que le programme de la Révolution nationale empruntait une part substantielle de ses thèmes au traditionalisme. En tout état de cause, la « gauche » ne s’est pas confondue avec les forces du «Bien» et la «droite» n’épouse pas le périmètre de celles du «Mal»… On peut certes ne pas suivre Guillaume Perrault lorsqu’il considère de manière un peu trop monolithique le Général de Gaulle et Winston Churchill comme des conservateurs « XXL » : ils appartenaient à une catégorie d’hommes pour lesquelles les typologies partisanes habituelles se révèlent particulièrement étriquées. Il n’en reste pas moins qu’il emprunte un chemin salutaire en présentant -par exemple- le rapport de la droite et de la gauche à l’Occupant de manière moins démagogique que ce que l’on entend d’ordinaire…
L’auteur fonde son apologie du conservatisme sur le fait que le changement n’est pas une valeur en soi. Il ne s’agit pas de s’y opposer par principe, écrit-il clairement, mais de ne pas estimer a priori que l’éradication de l’existant au profit du neuf apporte mécaniquement du progrès. Le journaliste fait en réalité le procès du mythe de la table rase qui rend synonyme nihilisme et progressisme. La mise en accusation permanente du passé, démontre-il, procède d’une haine de soi qui n’a plus rien à voir avec le juste désir d’amélioration du fonctionnement des sociétés humaines. En précisant fréquemment qu’un conservateur n’est pas systématiquement un réactionnaire, il établit de façon convaincante que le conservatisme admet précisément les apports de la durée et de l’évolution des mœurs. Un conservateur en 2017 a parfaitement intégré l’héritage de 1789 et l’idéologie républicaine. Il n’entend pas revenir à l’Ancien régime, ne se nourrit d’aucune nostalgie pour l’autoritarisme des siècles passés et n’a aucune complaisance pour le lamentable épisode vichyste de 1940. Pour autant, savoir reconnaître les moments forts de notre Histoire, ne pas s’enliser dans une repentance malsaine qui témoigne d’une détestation de soi-même pathologique, constitue aujourd’hui une tâche urgente.
Ce que Guillaume Perrault débusque également derrière le rejet du conservatisme organisé médiatiquement par l’intelligentsia française, c’est un clair mépris du peuple. Lequel se traduit en particulier par l’abandon des questions socioéconomiques au profit exclusif de celles de sociétés. Ce qu’exposèrent au grand jour le Brexit et l’élection de Donald Trump, c’est l’exaspération d’une part substantielle des classes moyennes et populaires, lesquelles ne tolèrent plus l’exercice solitaire du pouvoir par des élites très largement indifférentes aux problèmes quotidiens des populations dont elles sont censées améliorer l’avenir. Ce qui laisse apercevoir que leur « progressisme » est très largement feint… Leur attachement proclamé aux valeurs de gauche, qu’elles signalent aussi par un certain mépris pour le concept de nation (matérialisé dans les ubuesques querelles sur le drapeau tricolore), les forces de l’ordre ou l’absence de « malléabilité » du peuple français, confirment la prégnance d’une guerre idéologique, d’un politiquement correct agressif dont la démocratie est la première victime. Un essai stimulant qui rappelle que l’Histoire mérite le plus grand tact et que les manipulations intellectuelles grossières apparaissent à bout de souffle…
Eric DELBECQUE, Président de l’ACSE et membre du Comité Orwell