Publié le 20 mars 2013 à 3h00 - Dernière mise à jour le 10 août 2023 à 10h45
L’État argentin a-t-il tenté d’empêcher l’élection du nouveau pape ?
Un journaliste de « El Cronista », un quotidien économico-politique renommé de Buenos Aires, a affirmé lundi que le gouvernement argentin avait remis à certains cardinaux un dossier « sale » afin de bloquer l’élection de l’archevêque de Buenos Aires, dont les différends avec la présidente Cristina Fernández de Kirchner sont de notoriété publique.
« Le Vatican a confirmé que la diplomatie argentine en Italie a rédigé et diffusé parmi certains cardinaux un dossier « sale » en vue de bloquer l’éventuelle nomination de Jorge Mario Bergoglio comme successeur de Benoît XVI. » Ces mots de la plume du journaliste argentin Román Lejtman, publiés ce lundi 18 mars dans les colonnes du réputé quotidien économico-politique de Buenos Aires « El Cronista », ont fait l’effet d’une bombe dans la capitale argentine. Román Lejtman assure que ce dossier, qui a été remis avant le conclave à des cardinaux chargés de désigner le nouveau souverain pontife, était basé sur les écrits par le journaliste Horacio Verbitsky dénonçant la présumée complicité du cardinal Bergoglio avec la dernière dictature militaire en Argentine (1976-1983). Des accusations qui reviennent comme un boomerang depuis l’élection de l’archevêque de Buenos Aires la semaine dernière. Pourtant, comme le rappelle « El Cronista », la décision finale des tribunaux fédéraux dans l’affaire de l’ESMA – pour la Escuela de Mecánica de la Armada, l’École Mécanique de la Marine – a écarté cette accusation, fin 2011, pour faute de preuves. Le dossier sale, écrit en espagnol, serait parvenu à certains cardinaux par l’intermédiaire d’un de leurs collègues. Il avait pour finalité de discréditer le cardinal Bergoglio pour qu’il ne puisse pas accéder à la papauté.
Le journaliste va jusqu’à affirmer qu’« au Vatican, on assure que la fausse dénonciation contre Bergoglio était connue par un diplomate argentin qui est un illustre nom du Péronisme, ourdie par un législateur national lié à des organisations des droits de l’homme et introduite parmi les électeurs du futur Pape par un cardinal qui connaît les différends entre François et la présidente Cristina Fernández de Kirchner ».
Le dossier sale est une « resucée » d’une série d’écrits d’Horacio Verbitsky assurant que Bergoglio, en tant que Provincial de la Compagnie de Jésus durant la dictature, a provoqué la disparition des prêtres Orlando Yorio et Francisco Jalics, qui sont tombés entre les mains de l’ESMA pour leur travail pastoral dans la ville de Flores.
Une comparution de quatre heures face à l’accusation
Et Román Lejtman de souligner que les auteurs de ce dossier, « niant la vérité historique », évitèrent de préciser dans « leur pamphlet diplomatique » que Bergoglio a affronté l’accusation comme témoin durant une comparution formalisée dans l’archidiocèse, qui a duré quatre heures. Elle s’est déroulée devant les juges Germán Castelli, Daniel Obligado et Ricardo Farías, membres du Tribunal Oral Fédéral n°5 qui l’entendait sur le dossier ESMA. Le journaliste rappelle ce que le juge fédéral Castelli a commenté ainsi la décision du tribunal fédéral : « Nous ne jugeons pas si Bergoglio aurait pu avoir été plus ou moins courageux. La question est de savoir s’il a livré ces prêtres ou non. Et nous avons convenu qu’il n’y avait aucune raison que nous le dénoncions. » La décision définitive dans le cas de l’ESMA, qui est intervenue fin 2011, a mis ensuite fin aux versions qui ont été publiées sur la complicité de Bergoglio avec la dictature. « El Cronista » soutient encore que ce dossier de la diplomatie argentine fut avalisé par les membres les plus conservateurs de la curie, « qui ont vu Bergoglio comme un cardinal soucieux d’investiguer sur la corruption de la banque du Vatican et d’expulser les membres de l’Église accusés de pédophilie ». Mais cela ne servit à rien : la décision du tribunal fédéral argentin arriva rapidement au Vatican, et l’opération échoua avant que la fumée blanche n’apparaisse. La manœuvre ourdie à Buenos Aires et à Rome conjurée, le Vatican aurait décidé, selon le journaliste argentin, d’en finir avec cette dénonciation sans preuves probantes, en ordonnant au porte-parole du pape de rejeter ces accusations basées sur les écrits de certains journalistes.
L’affaire a provoqué suffisamment de remous pour que le lendemain, ce mardi 19 mars, l’ambassadeur d’Argentine auprès du Saint Siège, Juan Pablo Cafiero, a rejeté par écrit, via une lettre adressée au Vatican, et par voie de presse l’ensemble de ces accusations. « C’est absolument faux tout ce que dit Román Lejtman. C’est une histoire idiote et quiconque connaît les problèmes du Vatican peut s’en rendre compte », a-t-il déclaré au quotidien de Buenos Aires « La Nacion ». Et le représentant du gouvernement argentin au Saint Siège d’estimer qu’il s’agit d’« une manœuvre visant à nuire au travail de notre ambassade ».
Andoni CARVALHO