Publié le 21 mars 2022 à 11h30 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 18h39
Le fonds de dotation Aix-en-Provence Mécénat acquiert pour la ville d’Aix-en-Provence, la Bastide du Jas de Bouffan et le Musée Granet, un dessin double-face de Paul et Marie Cézanne, disparu depuis 75 ans. Les 3 mécènes ayant permis l’achat par le Fonds de dotation, pour le compte du Musée Granet et de la Bastide du Jas de Bouffan sont :Carmelo Zappitelli, Provence Habitat; Mohand Sidi Saïd et Gérard Hubner, Art Promotion.
C’est au terme d’une véritable aventure que le Musée Granet vient de se voir remettre un dessin double-face de Paul Cézanne. Il a en effet fallu 75 ans pour que cette œuvre soit retrouvée. Puis il a fallu l’identifier. La chose était mal partie après qu’un premier expert ait affirmé: «Si c’est un Cézanne, je suis le Pape». S’il n’est pas Pape le dessin, confirmeront d’autres experts, est bien un Cézanne. Ils sont nombreux alors à rêver de voir ce dessin revenir à Aix-en-Provence. Pour beaucoup c’est inenvisageable. Les prix vont s’envoler. Le Musée Granet est alerté, mais ne dispose pas des fonds mobilisables dans un temps record. La préemption des musées nationaux n’est pas engagée. Le Fonds de dotation Aix-en-Provence Mécénat est averti de la future vente par l’un de ses conseils. Certains de ses mécènes croient que le rêve peut devenir réalité. A juste titre.
L’origine du carnet de dessin
Vers 1857-1858, Paul (né en 1839) a 19 ans, et va commencer ses études de Droit. Marie (née en 1841) a environ 17 ans et Rose (née en 1854) un peu plus de 3 ans. La fratrie partage le même goût du dessin dont elle a assurément reçu des rudiments techniques et artistiques.
La famille est unie et n’a pas de problèmes d’argent. Louis-Auguste et Anne-Élisabeth qui ont régularisé leur union par le mariage en 1844, mènent une existence bourgeoise. Après avoir longtemps dirigé La Chapellerie Cézanne sur le Cours Mirabeau, Louis-Auguste la vend en 1848 et cofonde la « Banque Cézanne et Cabassol ». Dix ans plus tard, affirmant sa position sociale, il achète la Bastide du Jas de Bouffan et son vaste domaine.
Durant les vacances peut-être, et sur plusieurs mois, la fratrie Cézanne dessine et remplit en commun un carnet de dessin. Paul, l’aîné, et Marie, la cadette, rivalisent dans des styles et des inspirations très différents. Au recto des feuillets, Paul s’essaie à la copie d’anciens et affirme une vraie force du trait, de l’originalité dans les sujets et les interprétations. Au verso les dessins et aquarelles de Marie, sont d’une certaine qualité académique, tout entier tournés vers la reproduction de paysages trouvés sur des gravures ou dans des livres. La petite Rose complètera cette œuvre collective en griffonnant des traits divers et le dessin touchant d’un « petit bonhomme », elle-même peut-être ?
Au fil des contributions, le Carnet de dessin, dont la Couverture est d’ailleurs conservée au Musée Granet, va rassembler 18 feuillets, 36 dessins.
La disparition du dessin durant 75 ans
Le carnet des connivences heureuses est conservé par Paul Cézanne. À sa mort son fils Paul en hérite et le conserve à son tour. Il le transmet par la suite à son fils, Jean-Pierre, petit-fils donc du Père de l’Art Moderne.
Le carnet est préservé durant la guerre. En 1947 pourtant Jean-Pierre se décide à le mettre en vente. Il est proposé au célèbre collectionneur américain Henri Perlman qui en fait l’acquisition. Mais il y manque six feuillets dont on va perdre la trace. Sur l’un d’eux, avant de s’en séparer, Jean-Pierre a porté une inscription manuscrite au crayon «Le dessin ci-contre est un dessin original de mon grand-père Paul Cézanne / Jean Pierre Cézanne».
Henri Perlman fait don en 1962 du Carnet des dessins de la fratrie Cézanne, au Bezalel National Museum de Jérusalem, devenu depuis The Israël Museum. Le Carnet est incomplet à cause de son démembrement. Il comprend actuellement vingt-quatre dessins : douze de Paul Cézanne, onze de Marie Cézanne et un de la petite Rose Cézanne.
La dimension des pages conservées à Jérusalem est de 16,9 x 23,8 cm maximum. Elles sont toutes détachées. Certains feuillets comportent des traces de numérotation, mais de façon trop lacunaire pour que l’on puisse émettre une hypothèse valable quant à la succession des pages subsistantes au sein du carnet, d’après l’analyse de l’expert François Chédeville.
Au-delà de l’ensemble conservé désormais à Jérusalem, on a vu reparaître deux feuillets lors de ventes récentes à des collectionneurs privés, à New-York, en 2018. C’est dans ce contexte qu’intervient le rebondissement qui nous intéresse.
La redécouverte fortuite
En 2019, Me Thierry Collet, Commissaire-priseur à Reims, effectue à Cannes un inventaire de succession. Parmi les archives consultées, il repère un dessin double-face dont une mention manuscrite signée Jean-Pierre Cézanne retient son attention.
Il soumet le dessin à un premier expert qui ne croit pas une seconde à l’identité évoquée de l’auteur du dessin. «Si c’est un Cézanne, je suis le Pape», estime-t-il. Me Collet persiste dans son intuition. Il contacte, à Paris, un second expert, Marc-Henri Tellier, spécialiste de l’art du XIXe. Mis en présence du dessin, celui-ci associe immédiatement le dessin au Carnet de Jérusalem et évoque la possibilité qu’il en ait été extrait. Reste à le prouver. La crise sanitaire qui survient quelques mois plus tard retarde les investigations.
L’authentification
Il y a quelques mois, les confirmations s’enchaînent émanant des spécialistes issus notamment de la Société Paul Cézanne, sollicités par Marc-Henri Tellier. Le format et le type de papier correspondent au Carnet de Jérusalem. Comme la quasi-totalité des dessins du Carnet, il emprunte aux thèmes guerriers, probablement inspirés d’œuvres de Maîtres anciens. Quant à la technique utilisée, à savoir l’encre brune sur traits de crayon, elle est propre aux premiers dessins de Cézanne.
Tour à tour, les grands spécialistes Walter Feilchenfeldt, Jayne Warman et David Nash de la Société Cézanne, ainsi que l’historienne de l’Art Fabienne Ruppen, spécialiste des dessins de Paul Cézanne, confirment l’intuition. Le dessin est authentique. Pour la première fois, il est répertorié dans le Catalogue raisonné de l’œuvre de Paul Cézanne.
La mise en vente
Après 75 ans de disparition, plusieurs années d’expertise, le dessin reparaît publiquement. Me Collet prépare sa Vente aux enchères, susceptible de passionner le monde de l’Art. Quelques articles de revues spécialisées avertissent de l’enjeu en février 2022. Tout doit se passer très vite, la vente est programmée pour le 13 mars 2022.
Le Musée Granet est alerté, mais ne dispose pas des fonds mobilisables dans un temps record. La préemption des musées nationaux n’est pas engagée. Dans le même temps, le Fonds de dotation Aix-en-Provence Mécénat est averti de la future vente par l’un de ses conseils. Certains de ses mécènes pensent possible et souhaitable d’étudier la possibilité de participer aux enchères, compte tenu de l’enjeu: le dernier Cézanne acquis par la Ville d’Aix, le petit portait de Zola, remonte à 12 ans.
La mobilisation
En liaison directe avec Marie-Pierre Sicard Desnuelle et Sophie Joissains, la mobilisation est lancée, dans la plus grande discrétion, par le Fonds de dotation. Le symbole de ce dessin double-face est fort pour Aix-en-Provence : c’est ici qu’il a été dessiné, sans doute à la Bastide du Jas, il est une étape dans la consolidation de la destinée artistique d’un jeune homme qui hésite encore. Ce dessin est issu d’un Carnet qui souligne le cadre familial apaisant et fraternel dans lequel Cézanne évolue et qui sera essentiel à l’affirmation de sa vocation. Ce dessin est longtemps resté à Aix, Philippe Cézanne l’a approché dans son adolescence, avant qu’il ne soit vendu par son père. Il s’agit donc de faire revenir à Aix une œuvre de jeunesse majeure de celui pour qui la ville se mobilise avec force depuis plusieurs années et notamment depuis l’exposition de référence de 2006.
Contact est pris avec le Commissaire-priseur concernant l’éventualité d’une vente de gré à gré. Cette possibilité n’est pas souhaitée par les vendeurs. Il faudra donc passer par la vente aux enchères publiques et son incertitude. En quelques jours, grâce à la confiance et à la réactivité de son réseau de mécènes, le Fonds de dotation reçoit la promesse d’engagement d’un mécène majeur, et de plusieurs autres désireux de participer collectivement au retour à Aix de ce dessin de jeunesse de Paul Cézanne et, pour la première fois, à sa mise à disposition du grand public. Conseillé par Denis Coutagne, le Fonds de dotation identifie un montant d’enchères raisonnable dans le contexte du Marché et se prépare.
L’incertitude des enchères
Reste à franchir l’étape essentielle de la Vente aux enchères, à Reims, dimanche 13 mars. Clou de cette vente, le dessin double-face a provoqué un fort engouement du public, de la presse, des amateurs d’art. L’incertitude quant à l’envolée possible des enchères est totale, de même que l’intervention envisageable du musée de Jérusalem ou d’autres collections privées à travers le monde.
L’enjeu tient donc aussi à permettre de conserver le dessin en France et dans une collection publique. La vente va se dérouler très rapidement, les enchères montent, proposées à distance. Elles conduisent à une ultime proposition du Fonds de dotation et à l’absence de surenchère au-delà de 26 000 €. Adjugé ! Ce montant est cohérent avec la mobilisation envisagée tenant compte de l’achat, mais aussi des frais de vente, de la restauration de l’œuvre et de son encadrement spécifique, soit un montant total estimé autour de 40 000 €.
Le mécène principal
L’achat par le Fonds de dotation pour le compte du musée Granet et de la ville d’Aix a été rendu possible par Carmelo Zappitelli, président du groupe Provence Habitat. Self-made man, parti sans ressources, il a, à partir d’Aix, par son travail et ses intuitions, bâti une success story, aujourd’hui présente dans la région Sud et en région parisienne, dans les TP, puis l’Immobilier et l’Hôtellerie. Ami et mécène de longue date du Fonds de dotation, il a répondu présent en soutien de plusieurs projets au cours des dernières années. Il partage avec sa famille, ses trois enfants, ce souci d’aider au rayonnement d’Aix et à des projets profitant au plus grand nombre.
Au-delà de l’achat de l’œuvre, le Fonds de dotation a mobilisé plusieurs autres mécènes en soutien à cette acquisition, principalement son Président Mohand Sidi Saïd et le Président de son Club des mécènes, Gérard Hubner. Par ailleurs, Aix-en-Provence Mécénat continue d’être pleinement engagé dans le soutien pluriannuel au projet majeur de restauration de la Bastide du Jas de Bouffan et de sa future réouverture au public.
L’avenir du dessin
Le vendeur avait manifesté son souhait que le dessin reste en France et retourne à Aix-en-Provence, sur son lieu de création. Le Fonds de dotation Aix-en-Provence Mécénat va, par convention, faire don à la ville d’Aix-en-Provence du dessin qu’il a acquis le 13 mars. L’œuvre va dans un premier temps, sous le contrôle de Bruno Ely, directeur du musée Granet, être restaurée et encadrée. Elle entrera ensuite dans les collections du Musée Granet, avec mise à disposition ponctuelle de la Bastide du Jas de Bouffan, appelée à devenir un centre cézannien majeur.
Le dessin double-face de Paul et Marie prend tout son sens dans ce projet qui vise à faire découvrir au public la maison familiale du Père de l’Art moderne, celle où durant 40 années son art a mûri et s’est affirmé au point de conquérir le monde et de marquer l’histoire de l’art. Le public aixois ou venant du monde entier pourra ainsi découvrir, à Aix-en-Provence, une œuvre cézannienne supplémentaire.
Ses caractéristiques
Dans ce dessin, le jeune Paul Cézanne représente une vieille femme assise, de face et pieds nus, tenant une fiole dans sa main droite. A sa gauche, debout et de profil, un soldat casqué serre une petite bouteille dans sa main gauche et la lui montre du doigt. Bizarrement, il est nu-pieds lui-aussi.
Réalisé au début des années d’apprentissage de Paul Cézanne, ce rare dessin de jeunesse (16,9 x 22,4 cm) est un nouvel indice, sur les premières inspirations du Père de l’Art moderne, en l’occurrence les œuvres des maîtres anciens, sa façon de travailler, l’évolution de son trait.
On estime à 350 le nombre de dessins réalisés par Paul Cézanne lors de ses années d’apprentissage, entre 1856 et 1865, dont 45 seulement sont aboutis. On ne sait pas encore pourquoi cette page du Carnet a été détachée, ni comment celle-ci s’est égarée avant d’être ainsi retrouvée, 75 ans plus tard.
La rédaction
Le dessin a été inclus dans le catalogue raisonné de l’œuvre de Paul Cézanne, sous la référence FWN 30 16–X5a/b