Publié le 20 janvier 2022 à 11h13 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h28
Dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, au Parlement européen, le Président Emmanuel Macron a exposé sa vision de l’Europe ce 19 janvier à Strasbourg.
Après avoir félicité Roberta Metsola pour son élection à la présidence du Parlement européen puis de rendre hommage à son prédécesseur David Sassoli Emmanuel Macron devait prononcer son discours, évoquant en premier lieu: «cette Europe portée par des valeurs qui nous tiennent et nous unissent, cette Europe bâtie sur un modèle unique au monde d’équilibre entre liberté et solidarité, tradition et progrès. En cette civilisation à part, sédimentée dans le temps long des siècles et cette construction inédite depuis 70 ans, qui a mis fin aux guerres civiles incessantes de notre continent et dont ce Parlement qui exprime ici à Strasbourg, la volonté de notre peuple rassemblé et l’incarnation. Cette Europe qui a tenu fermement la barre durant la pandémie, qu’il s’agisse des vaccins comme de la relance économique. Et je suis extrêmement heureux et honoré aujourd’hui de m’exprimer devant vous en ce début de présidence française.
Je voudrais simplement partager quelques convictions avec vous, je ne vais pas balayer tous les sujets. Je pense que nous y reviendrons dans les questions. Mais je voudrais partager, au fond, quelques convictions essentielles qui nourrissent notre agenda commun et notre action commune. Cette Europe dont je viens de parler, notre construction européenne, repose sur trois grandes promesses. Une promesse de démocratie qui est née sur notre continent, qui a été réinventée, refondée sur notre continent et revivifiée ces 70 dernières années. Une promesse de progrès partagée par tous et une promesse de paix. Elle a tenu ses promesses durant cette décennie. Mais le moment que nous vivons, par le retour du tragique de l’histoire et de quelques évidences géographiques, l’ébranlement actuel que nous vivons vient bousculer ces trois promesses. Je pense que le défi qui est le nôtre est de tâcher d’y répondre, pas simplement d’ailleurs dans les mois qui viennent. Mais au fond, la tâche qui est la nôtre et sans doute celle de notre génération est de répondre en profondeur à la refondation de ces promesses. Promesses de démocratie, disais-je, et au fond, c’est notre singularité d’Européens.
Je veux ici vous dire que la présidence française sera une présidence de promotion des valeurs qui nous font et qui, à force d’être considérées comme des acquis ont peut-être fini ces dernières années, par se fragiliser. Nous sommes cette génération qui redécouvre la précarité de l’État de droit et des valeurs démocratiques.
D’abord, la démocratie libérale au sens politique du terme. Ces dernières années, on disait ce régime – que l’Europe a inventé – devenu fatigué, incapable de faire face aux grands défis du siècle. Cependant, je veux ici dire combien ces derniers mois l’ont montré, la gestion de la pandémie par les démocraties, avec du débat parlementaire, avec une presse libre, avec des systèmes de recherche et des systèmes académiques libres et ouverts a conduit à des décisions beaucoup plus protectrices des vies et des économies que celles des régimes autoritaires. Nous avons in concreto, tous ensemble, démontré l’inverse d’une idée reçue qui était en train de s’installer. C’est pourquoi nous serons au rendez-vous du combat pour la démocratie libérale.
Combat pour défendre nos processus électoraux des tentatives d’ingérence étrangère, combat pour continuer de faire progresser la souveraineté des peuples. À cet égard, nous aurons des travaux qui d’ici au printemps, continueront de progresser dans le cadre de la conférence sur l’avenir de l’Europe. Et si elle en fait la recommandation, la présidence française portera avec l’Allemagne – l’accord de coalition a été très clair sur ces termes – le droit d’initiative législative pour votre Parlement.
Combat pour l’État de droit, pour cette idée simple qu’il y ait des droits universels de l’homme qui doivent être protégés des fièvres de l’histoire et de leurs dirigeants. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour revenir sur nos grands textes fondamentaux qui ont pourtant été décidés souverainement par les États membres lors de leur adhésion. Mais revenir sur quoi ? Sur l’égalité des hommes en dignité et en droit ? Sur le droit pour chacun à disposer d’un procès équitable par une justice indépendante ? Et s’installe comme une idée au fond que pour être plus efficace il faudrait revenir sur l’État de droit, confondant le changement légitime de tout gouvernement élu de changer l’état du droit, mais considérant que nous tous avons à nous inscrire dans cet Etat de droit qui est existentiel de notre Europe, dont les principes ont été bâtis par notre histoire et sont le fruit de nos engagements communs.
La fin de l’État de droit, c’est le règne de l’arbitraire. La fin de l’État de droit, c’est le signe du retour aux régimes autoritaires, au bégaiement de notre histoire. Oui, derrière tout cela, il y a un combat idéologique. Ce combat est d’ailleurs porté par plusieurs puissances autoritaires à nos frontières et il revient chez plusieurs de nos pays. Nous voyons cette révolution à l’œuvre qui vient saper les fondements mêmes de notre histoire. Là où la tolérance et la civilité étaient au fond au cœur du processus de civilisation qui est le nôtre, revient une idée qui renaît au sein de nos peuples. Nous ferons donc tout pour œuvrer en ce sens et pour que, par le dialogue toujours, mais sans faiblesse, nous puissions défendre dans toutes les situations connues la force de cet État de droit. Je le dis dans le dialogue parce qu’il ne s’agit pas de laisser s’installer l’idée que l’État de droit serait au fond une invention de Bruxelles dont le seul dépositaire serait Bruxelles, qui est un discours que nous entendons naître dans certaines capitales. Non, c’est le fruit de nos histoires à tous, le combat même de révolutions pour se libérer du joug des totalitarismes durant le siècle passé. L’État de droit est notre trésor. Et il s’agit partout de reconvaincre les peuples qui s’en sont éloignés. Il s’agit partout, avec beaucoup de respect et d’esprit de dialogue, de venir convaincre à nouveau. Parler de cette singularité démocratique européenne, c’est évidemment donner aussi une force à ce nouveau combat.
Dans cet esprit, je souhaite que l’on consolide nos valeurs d’Européens qui font notre unité, notre fierté et notre force. Vingt ans après la proclamation de notre Charte des droits fondamentaux, qui a notamment consacré l’abolition de la peine de mort partout dans l’Union, je souhaite que nous puissions actualiser cette charte, notamment pour être plus explicites sur la protection de l’environnement ou la reconnaissance du droit à l’avortement. Ouvrons ce débat librement avec nos concitoyens de grandes consciences européennes pour donner un nouveau souffle à notre socle de droits qui forge cette Europe forte de ses valeurs, qui est le seul avenir de notre projet politique commun. Cette singularité que j’évoque, c’est aussi un rapport à la solidarité unique au monde. Nos sociétés ont ceci de singulier qu’elles ont inventé avec l’État-providence un système de protection pour chacun face aux risques de l’existence. C’est un legs de nos démocraties européennes. Et cette pandémie a montré que la solidarité, loin d’être une faiblesse, est une force incomparable.
C’est la solidarité qui nous a permis depuis deux ans de sauver des vies, de protéger des emplois. C’est la solidarité qui nous a permis de disposer d’un vaccin pour nous, Européens. C’est l’esprit de solidarité qui nous a conduits, comme Européens, à être les plus ouverts au monde, en termes d’exportations comme de dons. Et je souhaite que cette présidence française puisse, avec vous, poursuivre ce travail. Qu’elle pose des actes forts pour proposer à tous des emplois de qualité qualifiés, mieux rémunérés avec des salaires minimums décents pour tous. Pour réduire les inégalités salariales entre femmes et hommes, pour créer de nouveaux droits pour les travailleurs des plateformes numériques, pour introduire des quotas de femmes dans les Conseils d’administration des entreprises, pour lutter contre toutes les discriminations. Les progrès que je viens d’évoquer ne sont pas simplement des mots ou des promesses. Ce sont des textes qui arriveront dans les prochaines semaines entre nos mains, collectivement, et que je souhaite que nous puissions faire aboutir concrètement durant ce semestre. Nous en avons les moyens. Faisons-le.
Ce qui nous tient ensemble est la singularité de cette promesse démocratique européenne, c’est aussi celle d’une culture à part, au fond d’un art d’être au monde – oserais-je dire. Qu’est-ce qu’être Européen ? C’est ressentir une égale émotion devant nos trésors, le fruit de notre patrimoine et de notre histoire, la colline de Laponie jusqu’aux bulbes dorées de Cracovie, c’est vibrer de la même manière à l’esprit romantique, aux œuvres de Chopin comme aux textes de Pessoa. C’est aussi ensemble avoir une civilité, une manière d’être au monde, de nos cafés à nos musées, qui est incomparable. Cet art d’être au monde européen fait partie de notre singularité avec tant de différences. Mais nous sommes de la Grèce antique à l’Empire romain, du christianisme à la Renaissance et aux Lumières, les héritiers d’une façon singulière d’envisager l’aventure humaine. Je souhaite à cet égard que nous puissions continuer ensemble de promouvoir cette civilisation européenne faite d’universalisme, de culture respectée, et d’un projet commun respectueux des singularités et des identités de chacun. C’est pourquoi nous avons proposé de rassembler nos meilleurs historiens, nos plus grands actuels, pour précisément bâtir ensemble le legs de cette histoire commune d’où nous venons. Voilà le premier axe à mes yeux pour tenir cette promesse démocratique, faire de l’Europe à nouveau, et je ne reviendrai pas sur tous les autres sujets que nous aurons à cet égard à travailler ensemble dans les six mois à venir : faire de l’Europe une puissance démocrate, culturelle et éducative fière d’elle-même pour relever ce défi.
La deuxième promesse que j’évoquais, c’est la promesse de progrès. L’Europe ne s’est jamais pensée dans la seule préservation dans le confort du statu quo. Nous sommes bâtis dans une volonté de construire la croissance économique, un modèle d’avenir avec la possibilité offerte à nos classes populaires et nos classes moyennes de pouvoir tirer tous les bénéfices de ce progrès. Ces dernières années ont fragilisé cette promesse. Les inégalités croissantes, la désindustrialisation, les nouveaux défis aussi que sont en particulier le défi climatique et numérique sont venus plonger le doute sur notre continent et le défi qui est le nôtre est donc de bâtir un modèle original face aux grands défis du siècle. Un modèle d’avenir qui nous permet à nouveau de tenir cette promesse de progrès. Le climat est le premier de ces défis. L’Europe est le lieu où, à Paris, en 2015, s’est levée une conscience climatique universelle. Elle est le continent qui, avec l’objectif de neutralité carbone en 2050, s’est donnée la première les objectifs les plus ambitieux de la planète.
Désormais, nous avons à passer de l’intention aux actes. Transformer nos industries, investir dans les technologies du futur qu’il s’agisse des batteries ou de l’hydrogène, c’est l’ambition même du pacte. La Commission a fait des propositions fortes et nous aurons maintenant à mettre en œuvre ensemble, dans les prochaines semaines, nombre d’entre elles. Inciter tous les acteurs chez nous et partout dans le monde à répondre à l’exigence écologique. C’est le sens même en particulier du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières que nous attendons depuis des années. C’est le sens aussi des mesures-miroirs dans les accords commerciaux que nous défendons. C’est le sens également de la négociation pour adopter la première loi au monde contre la déforestation importée. Durant les prochaines semaines, nous aurons des décisions importantes à prendre, entre autres, sur ces quelques sujets essentiels dans notre stratégie. Nous aurons à les déployer au niveau national, nous aurons également à porter nos objectifs et la réconciliation de nos objectifs en matière de lutte pour la biodiversité et contre le réchauffement et le dérèglement climatique. À ce titre, nous aurons au mois de février un important sommet pour les océans où plusieurs pays membres, la Commission et plusieurs d’entre nous aurons une stratégie importante à présenter, car nous sommes une grande puissance maritime et nous avons là aussi, en matière de biodiversité, un agenda à défendre.
Le second défi du siècle, c’est celui de la révolution numérique. Ce n’est pas nous, Européens qui croyons plus que tout en la diffusion du savoir, nous qui avons inventé la figure d’un honnête homme abreuvé d’humanité, qui allons rejeter ce mouvement extraordinaire. Mais le défi qui est le nôtre est double. Le premier : bâtir un véritable marché unique du numérique permettant de créer des champions européens. C’est un investissement dans des technologies nouvelles, c’est un investissement dans des secteurs nouveaux comme la Commission l’a proposé à plusieurs reprises. C’est la consolidation d’une Europe sachant financer ses champions et une Europe aussi qui sait simplifier son droit pour bâtir un véritable marché unique, c’est-à-dire un marché domestique à taille de géants. Et dans le même temps, c’est une Europe qui sait encadrer les acteurs du numérique pour précisément préserver cet esprit des lumières, c’est-à-dire protéger nos droits, nos libertés, le respect de nos vies privées. Lutter contre les discours de haine et de division, c’est pourquoi avec vous, Parlementaires, nous aurons des textes importants là aussi à parachever, des textes sur les services numériques sur lequel vous vous prononcerez demain et les prochains mois peuvent être ceux de l’émergence d’un modèle numérique européen qui, tout à la fois, organise une concurrence loyale entre les acteurs et lutte contre la tendance des plateformes à tuer l’innovation, comme il protège les citoyens. Les deux grands textes, entre autres, que nous aurons à bâtir sont ceux qui nous permettront de protéger économiquement les acteurs du numérique et les autres, face à ces champions quelquefois déloyaux, mais à protéger aussi nos citoyens. Et le débat démocratique de manipulation, de discours, de haine sans responsables à la fin, contre lesquels nous devrons mettre en place ces régulations nouvelles. Le troisième défi, c’est évidemment celui de nos sécurités. Cette promesse de progrès d’avenir ne vaut que si, face aux désordres géopolitiques, à la menace terroriste, aux attaques cyber, immigration irrégulière, à ces grands temps de bouleversements, nous savons apporter une réponse. Et face à ce retour du tragique dans l’histoire, l’Europe doit s’armer non pas par défiance vis-à-vis des autres puissances, non, mais pour assurer son indépendance dans ce monde de violence, pour ne pas subir le choix des autres, pour être libre.
D’abord, pour retrouver la maîtrise des frontières et de notre espace. Nous avons beaucoup progressé avec le renforcement en cours de Frontex et la présidence française portera une réforme de l’espace Schengen qui est la condition du respect de sa promesse originelle d’un espace de libre circulation. Protéger nos frontières extérieures, y compris en élaborant une force intergouvernementale d’intervention rapide. Acter d’un accueil partagé solidaire entre les États membres, comme nous l’avons fait entre 2018 et 2021. Bâtir des partenariats avec les pays d’origine et de transit pour lutter contre les réseaux de passeurs et rendre efficace notre politique de retour. Construire au fond une politique plus efficace, mais respectueuse de nos principes pour lutter contre l’immigration irrégulière.
En matière de défense, enfin, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’être en réaction aux crises internationales. Il nous faut une puissance d’anticipation qui organise la sécurité de notre environnement. Des avancées considérables, inédites dans notre histoire, ont eu lieu ces dernières années. Durant ce semestre, nous aurons à acter de plusieurs progrès considérables avec l’adoption de la Boussole stratégique lancée sous la présidence allemande, avec la définition de notre doctrine de sécurité propre, en complémentarité avec l’OTAN, avec aussi une véritable stratégie en matière d’industrie, de défense et d’indépendance technologiques sans laquelle cette Europe de la défense n’a pas de sens ni de réalité. Vous l’avez compris au travers de cet agenda, c’est de retrouver ensemble une Europe puissance d’avenir, c’est-à-dire une Europe apte à répondre aux défis climatiques, technologiques, numériques mais aussi géopolitiques, une Europe indépendante en ce qu’elle se donne encore les moyens, de décider pour elle-même de son avenir, et de ne pas dépendre des choix des autres grandes puissances.
Enfin, j’évoquais la promesse de paix. Notre Europe aujourd’hui est confronté à une escalade des tensions, en particulier dans notre voisinage, à un dérèglement du monde, à un retour je disais tout à l’heure du tragique de la guerre. Or, notre modèle, qui déborde nos frontières et cultive dans la tradition de nos pères fondateurs une vocation universelle, a aujourd’hui une responsabilité qui est de repenser quelques-unes de ces politiques de voisinage, et de repenser cette place dans le monde pour bâtir une véritable puissance d’équilibre, car je crois que c’est la vocation de notre Europe.
L’Europe a ainsi le devoir de proposer une nouvelle alliance au continent africain. Les destins des deux rives de la Méditerranée sont liés, et nous ne pouvons d’ailleurs décemment aborder le sujet des migrations sans en traiter les causes profondes, et évoquer le destin commun avec le continent africain. C’est en Afrique que se joue une partie du bouleversement du monde, une partie de l’avenir de ce continent et de sa jeunesse, mais de notre avenir.
En lien avec Charles MICHEL et Ursula VON DER LEYEN, nous avons ainsi souhaité tenir un sommet au mois de février, afin de refonder notre partenariat avec le continent africain. Nous aiderons ainsi nos amis africains à faire face à la pandémie. 700 millions de doses auront été distribuées d’ici juin 2022, mais nous devons franchir dans les mois à venir une nouvelle étape, réinventer une nouvelle alliance avec le continent.
D’abord à travers un New Deal économique et financier avec l’Afrique, qui doit s’appuyer sur ce que nous avons construit au mois de mai dernier – l’Europe ayant proposé, défendu et acté une émission de tirages spéciaux au FMI, et la réallocation de nos droits – mais avec des propositions d’investissement très concrètes. Deuxièmement, avec un agenda en matière d’éducation, de santé, de climat pour le développement du continent et l’espoir de la jeunesse africaine. Troisièmement, avec un agenda de sécurité par le soutien européen aux États africains confrontés à la montée du terrorisme, comme nous avons su le faire ensemble au Sahel. Enfin, en luttant contre l’immigration illégale et les réseaux de passeurs pour mieux favoriser les circulations liées aux alliances culturelles, académiques et économiques.
Deuxièmement, l’Europe ne peut pas se détourner plus longtemps des Balkans occidentaux. Les Balkans occidentaux sont, par leur géographie comme par l’histoire, par la part de tragique comme par la promesse d’avenir qu’ils charrient, au cœur du continent européen. Ils portent des cicatrices qui nous rappellent tout à la fois la précarité de la paix et la force de notre union. C’est pourquoi, nous avons aujourd’hui vocation là aussi, à savoir repenser notre relation avec les pays des Balkans occidentaux et leur donner de manière plus claire, lisible, volontariste, des perspectives sincères d’adhésion. Pas d’adhésion contre, pour repousser les tentatives de déstabilisation étrangères des temps présents. Une adhésion pour, avec une adhésion de projet qui s’inscrit dans un temps raisonnable.
Nous avons modernisé la procédure de négociations ces derniers mois, mais nous savons aussi très concrètement que ce n’est pas l’Europe actuelle, avec ses règles de fonctionnement, qui peut devenir une Europe à 31, 32 ou 33, ça n’est pas vrai, nous nous mentirions à nous-mêmes. Nous avons donc dans le cadre de la conférence et des résultats du mois de mai prochain, à repenser nos règles en profondeur pour les rendre plus claires, plus lisibles, pour pouvoir décider plus vite et plus fort, mais aussi politiquement à être sincère sur le cadre de cette Europe où les Balkans occidentaux ont leur place. Il nous faut donc réinventer à la fois les règles de fonctionnement et la géographie de notre Europe. C’est pourquoi la Conférence sur l’avenir de l’Europe devra être suivie d’une conférence sur les Balkans occidentaux, organisée juste après, qui sera l’occasion d’aborder ce sujet crucial.
Troisièmement, l’Europe et le Royaume-Uni doivent aussi retrouver le chemin de la confiance. Je ne ferai pas – compte tenu du temps qui m’est imparti, je veux conclure dans un instant – plus long sur ce sujet. Rien ne remettra en cause le lien d’amitié qui nous lie au peuple britannique. Notre compagnonnage dans la défense de la démocratie libérale, de la liberté, du progrès économique et social est trop ancré, trop ancien. Mais suivre ce cheminement commun après le Brexit, suppose du gouvernement britannique qu’il s’engage de bonne foi dans le respect des accords conclus avec notre union et que nous fassions respecter avec clarté les engagements pris. Qu’il s’agisse de la mise en œuvre du protocole sur l’Irlande du Nord ou de droits de nos pêcheurs, comme il s’agira d’ailleurs d’immanquables sujets de discussions à venir. Soyons fermes et clairs, pour que les engagements pris soient tenus. C’est la condition pour pouvoir rester amis.
L’Europe doit enfin construire un ordre de sécurité collective sur notre continent. La sécurité de notre continent nécessite un réarmement stratégique de notre Europe comme puissance de paix et d’équilibre, en particulier dans le dialogue avec la Russie. Ce dialogue, je le défends depuis plusieurs années. Il n’est pas une option parce que tout à la fois, notre histoire et notre géographie sont têtus, à la fois pour nous-mêmes comme pour la Russie, pour la sécurité dans notre continent qui est indivisible. Nous avons besoin de ce dialogue. Nous devons, nous, Européens, poser collectivement nos propres exigences et nous mettre en mesure de les faire respecter. Un dialogue franc, exigeant face aux déstabilisations, aux ingérences, aux manipulations.
Ce qu’il nous faut bâtir, c’est un ordre européen fondé sur des principes et des règles auxquelles nous sommes rangés et que nous avons acté non pas contre ni sans, mais avec la Russie, il y a maintenant 30 ans. Et que je veux ici rappeler. Le rejet du recours à la force, à la menace, à la coercition, le choix libre pour les Etats de participer aux organisations, aux alliances, aux arrangements de sécurité de leur choix, l’inviolabilité des frontières, l’intégrité territoriale des Etats, le rejet des sphères d’influence. Ce dont je parle, ce sont les principes que nous, Européens, et que la Russie, avons signés il y a 30 ans. À nous, Européens, de défendre ces principes et ces droits inhérents à la souveraineté des États. À nous d’en réaffirmer la valeur et d’en sanctionner efficacement la violation. La souveraineté est une liberté. Elle est au cœur de notre projet européen. Elle est aussi une réponse aux déstabilisations à l’œuvre sur notre continent. C’est pourquoi nous continuerons avec l’Allemagne dans le cadre du format Normandie, à rechercher une solution politique au conflit en Ukraine, qui reste le fait générateur des tensions actuelles. Et votre soutien collectif est nécessaire pour appuyer nos efforts.
C’est pourquoi aussi, nous veillerons à ce que l’Europe fasse entendre sa voix unique et forte sur la question des armements stratégiques, de la maîtrise des armements conventionnels, de la transparence des activités militaires et du respect de la souveraineté de tous les États européens, quelles que soient leurs histoires. Ces prochaines semaines doivent nous conduire à faire aboutir une proposition européenne bâtissant un nouvel ordre de sécurité et de stabilité. Nous devons le construire entre Européens, puis le partager avec nos alliés dans le cadre de l’OTAN. Et ensuite, le proposer à la négociation à la Russie.
Mesdames et Messieurs les députés, je suis né en 1977 et ma jeunesse fut celle de l’évidence européenne. Sur les terres ensanglantées du nord de la France sur lesquelles j’ai grandi, l’Europe était la paix comme une évidence intangible. J’ai vécu, ensuite, comme beaucoup d’entre vous ici, le grand doute européen. Le référendum de 2005, l’accusation technocratique, le risque de dislocation face à la crise des dettes souveraines. Nos générations ont aujourd’hui à refonder notre Europe pour faire face à ses promesses de démocratie, de progrès et de paix. Nous avons collectivement donné les moyens de faire de notre Europe une puissance démocratique, culturelle et éducative, une puissance d’avenir, une puissance d’équilibre. Pour ce faire, nous aurons nombre de textes essentiels dans les semaines et mois qui viennent et je compte sur le travail étroit, harmonieux avec le Parlement européen compte tenu de tous ces textes, et des ambitions partagées. Tous ensemble, face à la tyrannie de l’anecdote et des divisions entre Européens, nous avons à retrouver le sens de l’unité, le goût du temps long qui font la nécessité de l’audace, le sens de ce que Robert Schumann appelait les efforts créateurs. Ni les invectives, ni les divisions, ni les interdictions, ni les facilités. Ces efforts créateurs ont fait notre Europe. Ce qui veut dire que ni les politiques d’hier ou d’avant la crise, ni les formats d’hier ou d’avant la crise, ni les réflexes passés, ni le retour au nationalisme, ni la dissolution de nos identités ne seront les réponses à ce monde qui advient. Mais notre capacité à inventer un rêve possible, à le rendre tangible, à le faire réalité, à le rendre utile à nos concitoyens, est la clé de notre succès. Nous en avons la force, nous en avons les moyens. C’est pour cela que j’ai confiance en nous.»
La rédaction