Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État en charge de la citoyenneté et de la Ville, présente ce mercredi 15 novembre, en conseil des ministres un projet de loi visant à lutter et sanctionner plus durement les dérives sectaires. Elle annonce notamment la création d’un nouveau délit visant les actes créant une « sujétion psychologique » et la mise à disposition d’un million d’euros pour les associations agréées par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Pour expliquer ce projet de loi, présenté comme le plus important dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires depuis 2001, Sabrina Agresti-Roubache indique : « Les dérives sectaires ont profondément évolué depuis de nombreuses années ». Elle précise : « Aux groupes à prétention religieuse s’est ajoutée une multitude de groupes ou d’individus qui investissent les champs de la santé, de l’alimentation, du bien-être, mais aussi le développement personnel, le coaching ou la formation. Des « gourous 2.0 », manipulateurs isolés et autonomes, diffusent désormais leur doctrine sur les plateformes numériques et fédèrent autour d’eux de véritables communautés ».
La secrétaire d’État évoque la crise sanitaire qui avec « ses périodes de confinements et des conditions sociales difficiles ont favorisé l’émergence de discours qui exploitent l’isolement et remettent en question la science et la crédibilité des autorités sanitaires.» Face à cela et à l’augmentation constante des signalements le gouvernement entend apporter une réponse forte « en adaptant l’organisation et la capacité de réponse de l’État ».
« Augmentation continue du nombre des signalements »
Il importe ainsi de savoir que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) fait face à l’augmentation continue du nombre des signalements qui lui sont adressés : 33% entre 2020 et 2021 et 86% entre 2015 et 2021. Les 4 020 signalements comptabilisés pour l’année 2021 représentent un record (31 379 saisines reçues entre 2010 et 2020). Mission qui définit ainsi la dérive sectaire : « Il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société ».
La stratégie nationale
La stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires s’appuie sur trois axes, le dernier étant ce projet de loi. La prévention des risques de dérives sectaires, premier axe de la stratégie nationale, nécessite de «mieux connaître le phénomène pour mieux mesurer l’efficacité de la politique publique. en la matière, mais également de sensibiliser et informer le public, notamment par le biais d’une campagne nationale, ainsi que les élus comme les professionnels, par des actions ciblées et coordonnées.»
Trois actions thématiques sont annoncées : lutter contre les dérives sectaires sur Internet et les réseaux sociaux ; faire émerger une stratégie nationale de protection des enfants exposés à des dérives sectaires ; agir à l’échelon européen, par des actions de coopération, notamment dans le cadre d’un Observatoire européen des dangers liés aux organisations à caractère sectaire.
Le deuxième axe vise à mieux accueillir, soutenir et accompagner les personnes subissant ou ayant subi une expérience sectaire. «Ce qui va entraîner, dans chaque département, la mise en place d’un réseau impulsé par les préfectures notamment en améliorant la compréhension du phénomène, l’indemnisation des victimes et le renforcement des partenariats associatifs avec les associations spécialisées et les élargir aux acteurs généralistes de l’aide aux victimes ».
Renforcer l’arsenal juridique
Il s’agit également, et c’est le troisième acte, de renforcer l’arsenal juridique, et c’est l’objet du projet de loi présenté par Sabrina Agresti-Roubache. «Il entend permettre d’adapter le droit à l’aggravation et à la diversification du phénomène sectaire, en facilitant les poursuites, la réparation des dommages subis par les victimes et la constitution de partie civile des associations d’aide aux victimes.»
Le projet de loi prévoit d’établir un délit autonome en vue de réprimer, en plus de l’abus de faiblesse lié à un état de sujétion psychologique ou physique, le fait même de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique, sera puni d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Ces situations de sujétion se manifestent par « l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement ». Elles sont fréquemment à la source d’une altération de la santé physique ou mentale pour les victimes, préjudice qui pourra désormais être reconnu et indemnisé.
Circonstance aggravante
Dans la mesure où l’état de sujétion psychologique peut conduire à diverses infractions, une circonstance aggravante visant cet état de fait sera prévue pour plusieurs délits : violence, escroquerie…Cette mesure permettra d’adapter la réponse pénale au phénomène sectaire et d’identifier les réponses pénales apporter à ces phénomènes.
Il est par ailleurs à noter qu’une procédure d’agrément ministériel permettra d’autoriser des associations d’aide aux victimes d’exercer des droits reconnues à la partie civile pour des faits commis dans le cadre d’un mouvement à caractère sectaire alors qu’actuellement une seule association, l’Unadfi, peut agir en justice.
Mieux protéger la santé publique
La Loi prévoit également, afin de mieux protéger la santé publique, de sanctionner les pratiques les plus dangereuses pour la santé des personnes. Une attention particulière devrait alors être portée aux pratiques en matière de bien-être, de soins et d’alimentation. Le texte prévoit la création d’un nouveau délit de provocation à l’abandon ou l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques dont il est manifeste qu’elles exposent la personne visée à un risque grave ou immédiat pour la santé.
En outre les ordres de professionnels de santé seront obligatoirement informés par les parquets des condamnations même non définitives des professionnels soumis à leur contrôle, ainsi que leur placement sous contrôle judiciaire dès lors que certaines obligations sont visées. Et, en cas de poursuites exercées pour certains délits, le ministère public ou la juridiction pourra solliciter tout service de l’État pour l’éclairer.
Michel CAIRE