Publié le 15 avril 2021 à 9h51 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h23
Sa nomination dans les Alpes-de-Haute-Provence en 2020 a été pour Violaine Démaret un retour aux sources. En effet, cette petite-fille de fermiers (elle tient à cette appellation) de Loire-Atlantique a grandi à proximité du Cousson, puisqu’elle a passé toute son enfance et son adolescence dans les Hautes-Alpes au sud de Saint-Appolinaire. Elle se revendique proche de la terre et de ceux qui la façonnent, elle prône le dialogue et l’équilibre dans toutes les problématiques qu’elle aborde dans le cadre de ses fonctions tout en gardant bien à l’esprit sa mission de faire appliquer les lois et la politique gouvernementale. Entretien.
Quel est votre rapport au monde agricole ?
Violaine Démaret : J’ai toujours entendu mon père nous raconter sa vie au contact de la terre. Beaucoup de mes cousins sont encore agriculteurs aujourd’hui. J’ai retenu une chose de mon enfance : même si la famille de mon père était très pauvre ils ont toujours mangé à leur faim car leur travail les nourrissait. Je suis très fière d’être issue de ce milieu.
Qu’avez-vous pensé quand vous avez été nommée dans les Alpes-de-Haute-Provence ?
Cela a été un bonheur absolu et une chance énorme. C’est un département avec une vraie âme paysanne. Ici ce terme n’est pas connoté contrairement à d’autres départements où j’ai pu servir, il est positif et c’était le cas dans mon éducation donc je m’y retrouve tout à fait. D’ailleurs, quand je suis arrivée on m’a demandé quelles seraient mes priorités, l’agriculture arrivait tout de suite après la gestion de la crise sanitaire. Il faut absolument préserver cette âme et lutter contre ceux qui voudraient la ternir et jeter un regard négatif sur la ruralité.
Comment voyez-vous l’agriculture bas-alpine ?
Il y a des spécificités très fortes comme la culture de l’olive, de la lavande ou de l’amande. L’agriculture est bien identifiée, bien présente, bien vivante et on a des partenaires de grande qualité. La chambre d’agriculture, les syndicats agricoles sont vraiment dans une logique de coproduction des politiques publiques. Pour moi, c’est très précieux.
« On nous demande de protéger les troupeaux et de tuer le loup qui tue, pas juste de tuer le loup. »
Quelle est, selon vous, la problématique la plus prégnante dans le département ?
On a de façon générale un dossier qui reste brûlant et compliqué car il est profondément humain avec des exigences qui laissent peu de marge de manœuvre : le loup. Il faut avoir une vision plus large et se poser la question de comment assurer l’avenir et la protection de l’élevage car l’objectif de l’État est avant tout de le maintenir. Cette volonté doit s’allier avec les exigences réglementaires. Le loup est venu percuter la façon dont on élevait. Les éleveurs ont dû révolutionner leurs méthodes de travail avec une présence humaine beaucoup plus importante, alors même, que leur métier nécessite déjà une attention de tous les instants.
Comment gérer cette question très sensible du loup ?
On a peu de marges d’actions locales. Je suis là pour faire appliquer la loi et pour soutenir les éleveurs. Je m’inscris, en ça, parfaitement dans la lignée de mon prédécesseur. Nous sommes toujours à la recherche d’un équilibre, parfois il est rompu car à un moment donné le loup intervient et ne nous permet plus de protéger les troupeaux. Nous ne sommes pas là pour réguler la présence du loup, on nous demande de protéger les troupeaux et de tuer le loup qui tue, pas juste de tuer le loup. On peut faire une présentation statistique du dossier et quand on compare 2020 aux années précédentes il y a eu moins d’attaques et moins de victimes.
Quand vous êtes éleveur quelle que soit la statistique quand vos brebis se font croquer et que votre travail est ravagé en quelques minutes par une attaque il y a de la détresse et il faut avoir une approche humaine du dossier. Nous identifions les éleveurs plus prédatés que d’autres pour utiliser toute la boite à outils. Je constate malheureusement que beaucoup d’éleveurs qui pourraient bénéficier de tirs de défense renforcés n’ont pas fait la demande. On ne pourra pas supprimer le loup du département, il faut qu’on vive avec, il faut qu’on utilise tous les moyens à notre disposition mais cela suppose aussi que les démarches soient faites.
Que souhaiteriez-vous mettre en place ?
J’aimerais renforcer l’information des partenaires sur la façon dont avance le dossier loup, on a une temporalité insuffisante à ce stade. Il faut qu’il y a ait une gouvernance plus proche du terrain, nous y travaillons avec la DDT et les sous-préfets d’arrondissement qui vont réunir les partenaires. Nous devons mettre des sujets sur la table pour pouvoir en référer au préfet-loup et voir comment faire évoluer un certain nombre de choses.
Il y a aussi la question très importante dans le département des chiens de protection. C’est l’une des mesures les plus efficaces mais il y a des inconvénients qui ne sont pas négligeables. Comment mettre à disposition des éleveurs, qui sont des éleveurs de moutons et pas de chiens, des chiens déjà élevés qui fassent la différence entre les mollets des randonneurs et ceux des loups ? On a été pris de court sur ces sujets, on n’a pas été sélectif sur la filière et il faut travailler de façon urgente à sa structuration. Le préfet- loup m’a confirmé qu’un travail était engagé et prioritaire. De mon côté, j’ai été très claire vis-à-vis des éleveurs : je ne prendrai pas en charge la responsabilité des morsures, en revanche nous travaillons sur le sujet. Nous sommes toujours à la recherche des meilleurs équilibres.
Autre grand dossier dans le département : l’eau, comment l’État intervient-il sur ce sujet ?
Je constate que même si l’on est dans l’un des départements les plus ensoleillés de France ce n’est pas celui dans lequel la sécheresse est la plus forte de façon globale. Certains secteurs sous tension posent des problèmes pour les agriculteurs avec des impacts environnementaux majeurs. Quand je suis arrivée il y avait un sujet compliqué sur le bassin du Thor dans le Jabron. Nous avons travaillé avec la Société du canal de Provence (SCP) pour obtenir les financements. Et, ce qui était compliqué il y a six mois est quasiment réglé aujourd’hui.
Ici, il n’y a pas de tabou sur l’irrigation, ce qui est bien, et on a la chance d’avoir des châteaux d’eau monstrueux avec Serre-Ponçon, le canal de la Durance et Sainte-Croix. Il doit aussi y avoir davantage de solidarité amont-aval. Nous allons traiter ce sujet à travers la mise en place d’un Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) Durance dont je devrais être la référente et qui concernera six départements. De façon générale, on a des agriculteurs et des partenaires qui ont été très responsables sur la question de l’irrigation, de l’équilibre entre les usages et qui ont largement exploité la boîte à outils mais il faut être attentifs. En effet, avec la DDT nous avons constaté que dans certaines zones, on est en train de modifier des cultures et d’en mettre des plus gourmandes en eau alors qu’il y a des déficits de ressource. Un vrai travail sur l’agriculture de demain doit être mené pour faire les bons choix. Il ne faut pas accroître les difficultés qui existent déjà.
« Nous n’hésiterons pas à sanctionner les installations qui se feraient au détriment des jeunes. »
Est-ce dans cette même logique que vous avez mené la cartographie des cours d’eau ?
Nous avions une logique informative envers les agriculteurs et les riverains en général pour leur faire connaître la réglementation à visée environnementale. Aujourd’hui quand vous faites des travaux à proximité d’un cours d’eau il faut faire une déclaration conformément à la loi. Il fallait que nous pointions, dans ce département où il y a beaucoup de cours d’eau, lesquels donnaient lieu à cette procédure. Sur la base de cette cartographie on fonde aussi les PCAE pour les déclarations PAC. Sur ce dossier, on a eu une difficulté en début d’année avec un problème d’échanges entre le ministère et nous. On s’en est rendu compte trop tard, on a donc remis sur l’ouvrage ce travail pour que la publication de la cartographie qui avait été réalisée bien avant mon arrivée puisse se retrouver dans ce qui sera publié l’année prochaine. Nous devrons être attentifs aux situations individuelles pour que personne n’en pâtisse.
Quel a été l’accueil du Plan de relance de l’État dans le département ?
On a globalement un département, qui, dans sa culture peut avoir parfois le sentiment que ces grands projets ne sont pas pour lui. Je l’ai dit dès mon arrivée que je ne souhaitais pas que le département passe à côté. On parle beaucoup d’entreprises, d’industries mais aussi d’agriculture avec des masses financières très importantes. Je souhaite qu’un maximum d’agriculteurs puisse en bénéficier. Il y a des appels à projets individuels sur lesquels il y a déjà eu des taux de réponses intéressants mais d’autres vont encore arrivés dans les prochaines semaines. Nous avons réussi à faire en sorte de rouvrir l’abattoir de Seyne, maintenant nous voulons voir comment soutenir les deux autres grâce au Plan de relance. J’ai beaucoup insisté pour que les dossiers soient déposés. J’ai sollicité le préfet de Région pour les soutenir et rallonger les enveloppes si nécessaire. Je pense aussi qu’il faut expérimenter un abattoir mobile. Concernant les Projets alimentaires territoriaux (PAT), tous les éléments sont réunis pour réussir : on a les productions, les habitudes de consommation, la culture du manger- bien et du manger-proche. Je pousse pour que les trois PAT qui existent déjà en bénéficient et que le reste du territoire s’en dote. Nous avons un suivi très fin, la plus grande difficulté est de donner l’information au bon endroit et au bon moment.
Sur la difficile question du foncier, quelle peut-être l’action de l’État ?
Nous avons la volonté de pérenniser l’agriculture et cela suppose que l’on réussisse la transmission et l’installation dans un département qui n’échappe pas à l’urbanisation. Nous devons faire en sorte de bien organiser l’espace pour préserver les terres agricoles. C’est un gros travail avec les collectivités locales. Il faut faciliter l’installation des jeunes agriculteurs avec, notamment, le Schéma régional des structures qui permet de prioriser l’accès au foncier. Là encore, c’est une recherche d’équilibre car il faut permettre aux agriculteurs de s’étendre mais pas au détriment des jeunes. Ce schéma doit être révisé cet été donc j’ai attiré l’attention du préfet de Région pour que ce sujet soit traité de façon constructive et partagée. Nous devons assumer pleinement nos prérogatives : quand on a des installations ou des transmissions qui ne se font pas dans les règles ou qui les contournent nous devons pouvoir agir. Nous allons continuer à être stricts et nous n’hésiterons pas à sanctionner les installations qui se feraient au détriment des jeunes. Chacun doit trouver sa place.
Le conseil constitutionnel vient de retoquer les chartes départementales sur les ZNT qu’est-ce que cela peut entraîner ?
Cette décision peut donner lieu à des interrogations. Le dispositif de chartes n’a pas été jugé inconstitutionnel en tant que tel mais les modalités de consultation et de concertation préalables oui. Mais quelle va être la lecture que les autorités ministérielles vont en faire ? Nous verrons en fonction si nous devons ajuster la charte ou non. J’y tiens car on est sur des sujets compliqués sur lesquels il ne faut pas faire preuve d’amateurisme. Elle ne vient pas remettre en cause les réglementations d’usage de certains produits, elle vient juste compléter l’arsenal. Nous préférons les solutions négociées plutôt qu’unilatérales car cela tue le débat. Si l’on veut lutter contre l’agribashing il faut lutter contre les fantasmes liés à ce sujet. Les agriculteurs doivent pouvoir continuer à travailler tout en préservant la santé des riverains.
AG pour L’Espace Alpin
[(L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpin )]