Publié le 30 juin 2016 à 21h34 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h28
« Macbeth », la pièce maudite. « Macbeth, c’est la malédiction du désir »? nous confiait dernièrement Frédéric Bélier Garcia qui en signait une mise en scène sombre et gore et tellement juste, il y a quelques jours à l’Opéra de Marseille. La malédiction du désir a encore frappé, mardi et mercredi, dans la salle du Silo où le Festival de Marseille avait convié un autre Macbeth, celui du sud-africain Brett Bailey créé en 2014 par la compagnie «Third World Bunfight». Le point de départ est la découverte par des réfugiés, à Goma, d’une malle contenant des costumes et du matériel ayant servi à monter la pièce à l’époque de la colonisation par la Belgique. Des réfugiés qui vont s’approprier l’histoire et la transporter au Congo d’aujourd’hui. Sont-elles sorcières, ou sont-elles de pauvres femmes manipulées et contraintes par les sorciers des temps modernes que sont les représentants des multinationales,qui vont enclencher la mécanique du désir chez Macbeth, ce chefaillon tribal qui va découvrir l’ivresse du pouvoir tout en développant l’indicible terreur de la réalité qui le conduit vers la folie. Sur fond de tensions ethniques, de génocide de corruption et d’exploitation des mines et des hommes par les multinationales, notre Macbeth congolais trace sa route, machette et kalach à la main, poussé, comme envoûté, par sa « lady » encore plus dévorée que lui par le désir, par les désirs. Elle veut du Prada pour ses formes généreuses, elle en aura avant de mourir entre folie et remords… Donné d’un trait, ce spectacle est reçu comme un uppercut. La mise en scène de Brett Bailey, qui est le concepteur du spectacle, si elle est minimaliste, n’en demeure pas moins d’une puissance à couper le souffle. Éclairages crus très bien réglés, projections parfois très cruelles, couleurs saturées et ces oiseaux stylisés, en noir et blanc, qui vont et viennent et dont le vol est chargé de symboles. Et pendant que les représentants des multinationales tirent minerais précieux et cadavres d’enfants du fond des sacs qui leur ont été remis, la musique de Verdi retravaillé par Fabrizio Cassol, entretien la tension. Tout comme la chaleur qui règne dans cette salle du Silo où l’on sue à grosses gouttes spectateurs impuissants d’un spectacle sidérant. Cette musique est jouée sur scène par les musiciens du No Borders Orchestra, en son temps formation Yougoslave, sous la direction de Premil Petrovic. Puis, il y a les chanteurs, tous rompus à l’art lyrique, qui livrent des prestations étonnantes de densité et de puissance tout en respectant les codes de l’opéra. Une distribution homogène avec une mention pour le couple Macbeth, Owen Metsileng et Nobulumko Mngxekeza, aux voix colorées, nuancées, illustrant à la perfection la psychologie de leurs personnages.
Un moment unique, déroutant, captivant, décoiffant, une géniale et cruellement réaliste, adaptation du Macbeth de Verdi.
Michel EGEA