Publié le 12 mars 2021 à 8h00 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 15h30
Les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence sont les deux départements de la région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur qui produisent le plus de lait de vache, de chèvre ou de brebis. Si certains éleveurs ont fait le choix de vendre à des collecteurs, d’autres vendent leur production à des entreprises locales privées ou coopératives qui les rétribuent mieux. Dans certains secteurs, celles-ci ont même contribué à maintenir une activité d’élevage qui aurait été vouée à disparaître, car peu rentable.
Dans les Hautes-Alpes, les surfaces agricoles recouvrent plus d’un tiers du territoire et sont particulièrement orientées vers les activités d’élevage. Dans les Alpes-de-Haute-Provence l’élevage est la deuxième orientation avec une exploitation sur quatre spécialisée dans l’élevage d’ovins ou de caprins. À eux deux ces départements sont le bassin laitier de Provence-Alpes-Côte d’Azur, cependant la production ne cesse de baisser. Si certains éleveurs, notamment ovins, ont fait le choix de transformer leur production à la ferme, d’autres la vendent à de gros collecteurs nationaux comme Lactalis, Sodiaal ou Biolait qui les rétribuent au prix du marché. D’autres encore ont choisi de vendre leur lait à des entreprises privées ou des coopératives qui transforment et valorisent la production localement en permettant aux éleveurs de mieux gagner leur vie. En effet, en vendant à un collecteur les éleveurs sont soumis à un prix fluctuant et fixé nationalement.
Plusieurs types de structures
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les deux plus grosses structures de transformation sont la coopérative laitière de la vallée de l’Ubaye qui collecte du lait de vache et la fromagerie de Banon pour le lait de chèvre. Les Hautes-Alpes ayant une plus grosse production, les structures sont plus nombreuses, sept, qui ont plusieurs statuts juridiques : Sica, coopératives ou entreprises privées. Elles transforment majoritairement du lait de vache, mais aussi du lait de chèvre pour celle de Laragne. Elles se sont créées, dans les années 1960, pour répondre à une baisse de la dynamique de la filière laitière et un nombre d’installations qui ne cessait de se réduire comme peau de chagrin.
Depuis quelques années la tendance s’inverse lentement avec quelques installations et une nouvelle émulation de la filière qui peut certainement être accordée au crédit de cette valorisation locale. Entre 2010 et 2018 de nouvelles industries comme La Fermière et Sacré Willy se sont également installées dans le département, ce qui a relancé la demande locale et accru les débouchés potentiels. «Les jeunes agriculteurs sont de plus en plus attirés par cette filière, car il y a vraiment une nouvelle tendance qui se dessine, explique Anaïs Signoret, en charge de la structuration des filières territorialisées à la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes. Cette transformation locale leur ouvre de nouvelles perspectives d’avenir et il y a une vraie volonté de la part des jeunes de s’impliquer. Les choses bougent et sont en pleine mutation. Je pense que pendant un temps il y a eu un petit complexe d’infériorité par rapport à la Savoie par exemple qui avait réussi à prendre un virage alors qu’eux non. Depuis quelques années il y a un véritable changement d’esprit avec une réelle envie d’avancer en regardant ce que font les autres et de voir le potentiel local pour progresser et se réinventer.»
L’un des principaux écueils de la filière laitière, notamment bovine, dans les deux départements restent les coûts de production élevés, compte tenu du climat qui oblige les bêtes à rester à l’intérieur six mois dans l’année. Un point qui fait grimper les investissements à réaliser en matière d’alimentation et de bâtiments.
Maintenir des exploitations
La transformation locale du lait a ouvert de nouveaux horizons aux agriculteurs qui peuvent espérer voir leur production mieux valorisée, sans compter la satisfaction personnelle qu’ils en retirent. En Ubaye, la coopérative qui réunit aujourd’hui 12 producteurs : 11 bovins et 1 caprin a été créée en 1949. Au début de son histoire la coopérative faisait juste de la revente, mais en 1968, elle a commencé à transformer la production avec des yaourts, puis la fameuse Tomme de l’Ubaye, créée dans les années 1970. Petit à petit la gamme s’est étoffée pour aujourd’hui proposée de la raclette, des faisselles, des fromages blancs, etc. «Au début il y a avait une centaine de petits producteurs, raconte Christophe Rayne, directeur de la coopérative. Dans toutes les fermes il y avait des vaches et les agriculteurs apportaient leur surplus de lait qui n’était pas consommé par la famille. Il n’y avait pas vraiment de tradition fromagère dans la vallée.»
Aujourd’hui la coopérative ubayenne collecte 2 millions 650 mille litres de lait par an, dont 2,5 millions de lait de vache. Tout est transformé dans les deux sites de la fromagerie à Barcelonnette et à La Bréole. Ce deuxième site ayant été construit pour augmenter la capacité de production et se rapprocher des principaux axes de circulations, pour faciliter la collecte et les livraisons. La coopérative maîtrise tout de la collecte à la vente. Celle-ci se fait essentiellement localement avec les deux boutiques de la coopérative, les restaurateurs mais aussi des magasins de producteurs, qui distribuent les produits jusqu’à Aix-en-Provence.
Fonctionnant sur un système coopératif traditionnel chaque producteur a voix au chapitre et peut intervenir dans la vie de la structure. « Toutes les orientations et les décisions sont prises par les éleveurs par l’intermédiaire du bureau qui est renouvelé tous les ans, poursuit le directeur. Nous maîtrisons nos volumes pour répondre à la demande, c’est un vrai calcul pour rétribuer les éleveurs le plus justement possible. C’est pour cela que nous ne faisons rentrer de nouveaux producteurs que quand nous sommes surs de pouvoir écouler la production. Nous devons avoir de la visibilité pour sécuriser l’avenir. » Le directeur révèle qu’en moyenne la coopérative paye le lait 30 % de plus que les collecteurs et que l’élevage laitier aurait certainement disparu en Ubaye sans la création de la coopérative.
Des labels pour se développer
Cela a certainement été le cas aussi à Banon, toujours dans les Alpes-de- Haute-Provence, qui traite 800 000 à 1 million de litres de lait par an sachant que la majorité des éleveurs caprins transforment directe ment à la ferme. Huit cependant livrent du lait la fromagerie qui produit un produit AOP connu dans toute la France voire au-delà. Vincent Enjalbert de la Maison régionale de l’élevage révèle que la fromagerie de Banon peine à trouver de nouveaux éleveurs fournisseurs, en plus d’un cahier des charges très exigeant. «La demande de produits locaux est croissante, précise-t-il, et elle est parfois difficile à satisfaire. Ce manque d’éleveurs et de volume de lait renvoie au problème du foncier qui est un vrai enjeu dans le département. » Dans le Champsaur plusieurs producteurs se sont inspirés de ces exemples réussis pour créer avec succès une fromagerie qui leur permet d’écouler une partie de leur production en la valorisant.
Si les Bas-Alpins ont un fromage porteur d’un label national reconnu avec l’AOP Banon, ce n’est pas encore le cas des Hauts-Alpins qui y travaillent depuis plusieurs années pour le Bleu du Queyras et la Tomme du Champsaur pour lesquels ils espèrent obtenir une AOC et une IGP pour valoriser encore mieux leur production. Plutôt que de baisser les bras la nouvelle génération d’éleveurs du sud des Alpes a fait le choix de se réinventer et de chercher un moyen de mieux vivre de son travail tout en mettant en avant un terroir et un savoir-faire encore trop méconnus.
A.G pour L’Espace Alpin
[( La filière laitière en chiffres
Cheptel
-Bovins laitiers : 4 700 dans les Hautes-Alpes, 1 051 dans les Alpes-de-Haute-Provence.
-Ovins : 2 797 dans les Hautes- Alpes ; 1 659 dans les Alpes-de- Haute-Provence.
-Caprins : 4 022 dans les Hautes- Alpes ; 5 630 dans les Alpes-de- Haute-Provence.
Lait de vache
-Paca : 265 277 hectolitres dont 195 050 dans les Hautes-Alpes et 33 211 dans les Alpes-de-Haute- Provence.
Lait de chèvre
-Paca : 78 998 hectolitres dont 12 067 dans les Hautes-Alpes et 27 638 dans les Alpes-de-Haute- Provence.
Lait de brebis
-Paca : 10 683 hectolitres dont 5 706 dans les Hautes-Alpes et 1 825 dans les Alpes-de-Haute- Provence.
Source Agreste-Statistique agricole annuelle 2018 )]
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